Anne-Claire Moraweck 19 décembre 2023

 

Cet article étant tiré de mon expérience personnelle et de la compréhension actuelle que j’ai de la CNV (Communication NonViolente), il est rédigé à la première personne. Puisse cette lecture nourrir votre réflexion et vous inspirer dans des cas de figure équivalents que vous pourriez rencontrer.

 

Dans toute situation dont je suis partie prenante, le « je » qui intervient est multiple. Sans pour autant tomber dans la schizophrénie, je contribue toujours à partir de 2 endroits (au minimum) : tout d’abord l’être que je suis, l’individu riche de son histoire et de ses expériences. Et puis le rôle joué dans le système. Si l’individu reste globalement le même d’une situation à l’autre, mon rôle peut quant à lui être très différent. En effet, je ne vais pas intervenir de la même façon en tant que consultante experte, qu’en tant que participante à une formation. Même si je suis toujours la même personne (et même si en tant que consultante experte, j’apprends tous les jours de mes missions chez mes clients).

Il peut m’arriver de ressentir un tiraillement entre mon être et mon rôle. Vous aussi ?

 

Mise en situation

 

Prenons un exemple : mon client souhaite revoir son choix d’ERP pour harmoniser ses différents sites de production. Il choisit d’attribuer à ce projet un budget réduit car le SI ne représente à ses yeux qu’un centre de coût, et pas une source de valeur. Par ailleurs, contribuer aux bonnes conditions de travail des (quelques) utilisateurs postés derrière leur écran n’est pas une priorité pour lui.

En effet, industriel leader dans le secteur agroalimentaire et s’adressant aux acteurs de la grande distribution, il affirme ne pas pouvoir se permettre d’augmenter ses coûts de fonctionnement et de répercuter ces derniers sur ses prix de vente, déjà réduits au maximum. Il fait le choix d’investir très majoritairement dans la production. En écoutant ses critères, j’évalue ce qu’il demande comme une solution « au rabais », qui risque de ne pas être adoptée par les utilisateurs.

De l’endroit où je me situe, je ressens un inconfort, partagée entre mon rôle de consultante et mon système de valeurs. J’ai la possibilité de faire taire cet inconfort en me laissant agir par mes conditionnements habituels – qu’ils soient de me soumettre à l’injonction de production de mon employeur ou de me rebeller pour rester cantonnée à mes principes.

Dans les 2 cas, je poserais alors mon action en étant bien éloignée de la sérénité et de la paix intérieure nécessaires à « l’action juste ». Et dans un cas comme dans l’autre, mon action génèrerait immanquablement une certaine forme de violence dont je ne peux deviner les répercussions. Vous l’aurez compris, ceci n’est qu’un point de vue et il existe autant de points de vue possibles que de paires d’yeux qui regardent dans cette direction.

 

La CNV pour prendre conscience de ce qui se joue …

 

L’approche de la CNV (dont nous vous avions parlé dans un précédent article) m’invite à marquer un temps d’arrêt pour aller explorer ce qui se joue dans cette situation d’un point de vue systémique, grâce à l’outil du triangle des besoins.

 

Première pointe du triangle

L’être que je suis, avec son système de valeurs qui lui est propre et ses aspirations à vivre dans une société où les besoins de toutes et tous sont considérés et pris en compte. Elle verse facilement dans l’idéalisme et a tendance à ériger ses principes en valeurs absolues. L’intensité de sa résistance est à la hauteur du rêve qu’elle nourrit dans son cœur pour le monde.

Deuxième pointe du triangle

Le rôle de consultante que j’occupe, avec son envie de bien faire et de contribuer au développement du cabinet. Elle peut facilement se faire attraper par des pensées du type « je n’ai pas le choix, il faut bien le faire ». Au-delà du besoin de sécurité matérielle qu’elle assure avec soin, elle nourrit dans chaque nouvelle mission ses besoins d’apprentissage et de contribution.

Troisième pointe du triangle

Le système en présence, en tant qu’entité à part entière, avec ses codes implicites et explicites. La concurrence est importante, les « lois du marché » s’appliquent et chacun cherche à assurer sa survie dans cet « océan rouge ».

 

Me rendre compte de tous les enjeux en présence et reconnaître les émotions qui émergent est essentiel. Ce temps d’accueil me permet de sentir ce qui est vivant dans l’instant pour m’y ajuster, à partir d’un espace de conscience.

Être actrice de la NonViolence systémique, c’est commencer par avoir conscience des impacts (visibles ou invisibles) que je génère et l’assumer avec humilité. Je ne peux pas changer à moi seule le système économique actuel. Et je contribue même à son fonctionnement puisque j’en fais partie. Avant de vouloir passer à l’action, je dois passer par une phase de deuil : accueillir ce que je ressens lorsque je mesure combien les ressources auxquelles j’ai accès sont limitées.

 

… et changer de posture

 

Avoir conscience de ces limites va m’éviter de verser dans la culpabilité et l’impuissance. En les mesurant, j’apprécie également tous les endroits où je peux avoir de l’influence et où je peux faire bon usage de mon pouvoir d’agir, en congruence avec mes valeurs.

Me voici à présent avec une vision claire de la situation présentée, consciente de tout ce qui se joue pour moi. Il n’y a pas de réponse « toute faite » applicable de manière automatique, puisque la CNV nous invite à ressentir et danser avec ce qui est vivant dans l’instant. Comme l’exprime si bien Françoise Keller, formatrice certifiée du CNVC*, « il s’agit de se laisser surprendre par la créativité immense qui émerge quand nous prenons le temps d’écouter ce qui se joue vraiment dans cet instant unique ».

Ainsi, dans cet instant unique, je choisis de jouer mon rôle de consultante du mieux que je peux, sans pour autant être dans la soumission décrite avant de dérouler intérieurement le processus. Mon action sera posée à partir d’un état d’être à la fois apaisé et déterminé, teinté de mon envie d’apporter aux collaborateurs·rices concerné·e·s une amélioration dans leurs tâches quotidiennes. Ma conviction incarnée sera perçue (même si inconsciemment) par l’environnement. Et cela peut faire toute la différence sur la suite des évènements.

 

Dans un prochain article, nous aborderons les notions de pouvoir, privilège et responsabilité, qui sont attachées aux rôles que nous jouons dans les collectifs.

 

*CNVC : Center for Nonviolent Communication