Anne-Claire Moraweck 21 décembre 2023

 

En intervenant en tant que consultant·e·s, nous nous mettons au service du collectif : notre rôle est de le soutenir dans son évolution, l’accompagner à définir ses besoins et trouver les solutions pour y répondre, lui apporter notre expertise aussi. Nos clients ont des attentes vis-à-vis de nous (conscientes et inconscientes, explicites ou non), et nous délèguent un certain nombre de pouvoirs au sein de leurs équipes (d’organisation, d’animation, etc.).

Cette délégation de pouvoirs nous octroie des privilèges et des responsabilités (et comme nous le savons bien, un grand pouvoir implique de grandes responsabilités).

 

Quand le niveau de violence ressentie dépend du contexte

 

Dans ces circonstances, il peut nous arriver d’être confronté·e·s à des violences systémiques, voire d’y contribuer bien malgré nous, sans même en avoir conscience. Toutes choses égales par ailleurs, une action particulière aura un impact différent sur un système donné selon le rôle joué par la personne qui l’aura réalisée.

Prenons le cas d’une personne « A » qui interviendrait en réunion en coupant la parole à une personne « B » déjà en train de s’exprimer. La situation sera vécue différemment par chacun des participants de la réunion selon le ton employé, bien entendu (c’est l’explicite, indépendant des acteurs en présence), mais aussi selon le niveau de pouvoir de A sur B dans ces circonstances précises. Si A est considéré·e comme « supérieur·e » à B (de par son expertise sur le sujet, son rôle d’animateur·trice de la réunion, sa position hiérarchique dans le système, etc.), ce pouvoir exercé plus ou moins implicitement peut faire vivre à B (et/ou aux autres participant·e·s) une situation de violence systémique (humiliation, discrédit, insécurité, perte de confiance…), quand bien-même ce ne serait absolument pas l’intention de A.

 

Une prise de conscience nécessaire

 

Pour éviter de tomber dans ces pièges liés à toute la complexité de la systémique et l’implicite qui en découle, et prévenir autant que faire se peut les situations de violence qui pourraient s’en suivre (ce qui aurait des conséquences néfastes sur la dynamique du groupe, l’efficacité, la créativité ou la motivation des troupes, et donc le succès du projet), il est essentiel de commencer par prendre conscience du rôle que nous occupons dans une situation donnée et des pouvoirs et privilèges afférents.

Rappelons qu’un privilège est simplement un avantage que nous avons par rapport aux autres. Il est donc fonction des circonstances dans lesquelles une qualité va s’exercer. Autrement dit, au royaume des aveugles, le borgne est roi…

Ainsi, en tant qu’animateur·trice d’un collectif (formateur·trice, facilitateur·trice, chef·fe de projet…), il est important de ne pas sous-estimer l’impact de nos interventions sur le groupe. L’exercice de notre pouvoir, surtout si nous avons de la facilité à exprimer notre leadership, peut être vécu comme une prise de pouvoir aux effets délétères. Et notre absence d’intervention peut être interprétée par le groupe comme un assentiment d’office à ce qu’il est en train de se passer.

Entendons-nous bien : il ne s’agit pas là de remettre en cause le principe de hiérarchie pour tendre vers une horizontalité parfaite où tous les membres d’un système seraient égaux entre eux et où toutes les décisions seraient systématiquement prises au consensus. Si nous sommes absolument tous égaux en tant que membres de l’espèce humaine, une certaine structuration telle qu’on l’observe dans les systèmes humains peut tout à fait être bénéfique. Le problème n’est pas dans le fait de confier certains pouvoirs à des individus donnés ; il peut l’être quand l’exercice de ces pouvoirs se fait aux dépends d’autres membres du système.

Voilà pourquoi cette étape de prise de conscience est essentielle. En se mettant à la place de l’autre, en observant, en questionnant, en sollicitant du feed-back, etc., nous pouvons ainsi réaliser que ce qui est une évidence ou d’une simplicité déconcertante pour nous ne l’est pas forcément pour les autres. Nous réalisons alors que nous jouissons d’un privilège qui n’est pas donné à tout le monde. Et en faisant l’effort de nous mettre au niveau de nos interlocuteurs·trices, nous pouvons créer des circonstances favorisant la qualité du lien, la confiance, l’estime de chacun… et par là-même les conditions favorables à la réussite de notre projet.

 

Passer en conscience du pouvoir « sur » au pouvoir « avec »

 

Ainsi, lorsque dans un contexte donné le rôle que nous occupons est assorti d’un pouvoir supérieur à celui des autres, nous avons la responsabilité pleine et entière de l’exercer avec sagesse, en conscience de l’impact produit sur le système et ses différents acteurs. S’offre à nous le choix de nous placer :

  • en « pouvoir sur », en adoptant une posture de domination,
  • ou en « pouvoir avec », en adoptant une posture d’allié, c’est-à-dire en apportant les conditions favorables à ce que chacun·e exprime ce qu’il·elle a de meilleur à apporter au projet qui nous rassemble.

Les circonstances nous dicteront quelle posture est la plus appropriée, la plus adaptée aux besoins du moment : en effet, en période d’incertitude ou de pression du temps, il peut être très apprécié par les équipes de sentir que le·la capitaine est à la barre, prêt·e à donner des instructions claires et efficaces. Dans ce cas précis, le « pouvoir sur » va être au service de la cohésion du groupe et de la sécurité de chacun·e, là où une posture de « pouvoir avec » risquerait de créer de la confusion et du « chacun pour soi ».

 

Vous l’aurez compris, il n’y a pas de solution miracle, facile à appliquer de façon systématique. Être acteur·trice de la NonViolence Systémique est une tâche de longue haleine qui vise à mettre en lumière les situations de violence invisible communément admises, souvent alimentées par nos croyances (conscientes ou inconscientes). Nous ne pouvons aborder ce chemin qu’en toute humilité, tel le colibri de la fable, lucides sur le rayon de notre champ d’action et tout autant déterminé·e·s à y exercer notre pleine responsabilité.

 

Et pour relire le premier article de ce dossier, rendez vous ici : Episode 1